L’animal et la peinture – Armelle Baron

L’animal à travers la peinture ancienne

Au Paradis, Adam et Ève accompagnés de nombreux animaux participaient à l’harmonie universelle. Puis, lors du Déluge, il fallut mettre à l’abri dans l’arche de Noé un couple de chaque espèce, afin de perpétuer les races.

Depuis l’antiquité les animaux font partie de notre environnement, pour des questions de proximité et bien sûr, de nourriture ; de ce fait, ils ont figuré dans de nombreuses œuvres d’art que ce soit en Égypte, en Orient, en Grèce ou à Rome où la célèbre Louve a nourri Remus et Romulus, fondateur de la cité. Si l’homme éprouve de la curiosité, de la fidélité, souvent il fait preuve de cruauté, ce qui rend complexe sa relation ambiguë avec le monde animal.

Plutôt que d’en faire un exposé chronologique, un peu ennuyeux, pourquoi ne pas introduire plusieurs thèmes représentés par les peintres ?

L’animal à travers la peinture ancienne

Peinture de la grotte de Lascaux

Dès la préhistoire, les peintures rupestres comme celles de Lascaux montrent des chevaux, des cerfs, des aurochs, des bisons, des bouquetins. Les explications données régulièrement et différemment par les archéologues peuvent sembler fantaisistes, car formuler des commentaires sur des représentations datant de 20 000 ans, ne semble peut-être pas vraiment fiable. Alors contentons-nous de regarder ces peintures extraordinaires, le reste étant de la littérature.

Hercule terrassant l’Hydre de Lerne (1600-1625)

Les artistes à partir de la Renaissance utilisent les sujets mythologiques afin de représenter le corps humain, selon les critères de l’époque, notamment l’idéal féminin (La naissance de Venus de Botticelli) Les héros mythologiques s’entourent de nombreux animaux, notamment Hercule lorsqu’il doit effectuer ses fameux travaux. Sur treize séquences, dix mettent en présence Hercule et un animal, citons entre autres, le Lion de Némée, le taureau de Crète, ou l’Hydre de Lerne, dont le tableau de Guido Reni, « Hercule terrassant l’Hydre de Lerne » (1600-1625) fut réalisé pour Ferdinand de Gonzague afin de décorer la Villa Favorita (Louvre).

Diane chasseresse est souvent accompagnée d’une biche ou d’un cerf, un exemple de cette illustration est la « Diane Chasseresse » de l’École de Fontainebleau, aujourd’hui attribuée à Charles Carmoy, huile sur toile (© 2017 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Adrien Didierjean.

L’enlèvement de Ganymède (1530-1532)

Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis

Le terme d’École de Fontainebleau désigne un courant pictural dont les sujets sont mythologiques et dont le style relève du maniérisme international, après la venue à Fontainebleau de Rosso et de Primatice, appelés par François Ier.  Europe est enlevée par un taureau alors que Ganymède l’est par Jupiter qui a pris la forme d’un aigle. Corrège en donne une version issue d’une commande de quatre tableaux, illustrant les Amours de Jupiter commandés par Fréderic de Gonzague, Duc de Mantoue pour l’Empereur Charles Quint. Le tableau « L’enlèvement de Ganymède » (1530-1532) acheté par Rodolphe II, est aujourd’hui conservé à Vienne,      

Des animaux ont été choisis comme symboles des Évangélistes. L’aigle pour St Jean, le lion évoque St Marc alors que le bœuf accompagne St Luc.

Autre symbole représenté à l’aube de la chrétienté, l’image du Bon Pasteur montrant le Christ à la recherche de la brebis égarée, décrit ici par Philippe de Champaigne (1662) dont il existe deux versions, l’une à Tours, l’autre à Port Royal des Champs, © Musée de Port-Royal des Champs. Le peintre s’est sans doute inspiré d’œuvres flamandes plus anciennes. Elles illustrent la parole de Jean : « Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis »

Le Jardin des Délices (c.1500)

Le célèbre triptyque de Jérôme Bosch : « Le Jardin des délices » évoque sans doute le Jugement Dernier. Le panneau de gauche montre le Paradis, où des animaux, même exotiques ont leur place, (vache, cygne, lapin, mais aussi éléphant, girafe) alors que le panneau central représenterait l’humanité. Le panneau de droite, rappel de l’Enfer, est peuplé d’animaux imaginaires. « Le Jardin des Délices » (c.1500) (Musée du Prado)

Citons quelques animaux emblématiques, ainsi la colombe préfigure le souffle divin et annonce la bonne nouvelle comme dans les nombreux tableaux dont le sujet est « l’Annonciation ». Zurbaran peignit une « Annonciation » (1638-1639) conservée au Musée de Grenoble (Crédit photographique : Ville de Grenoble / Musée de Grenoble – J.L. Lacroix – Domaine public). La gamme chromatique des costumes vient en opposition avec le hiératisme des visages alors que la colombe domine la scène.

Annonciation (1638-1639)

Cerf blanc (1395)

Les animaux sacrés font partie de l’héraldique, l’un des plus beaux est le « Cerf blanc » de Richard II d’Angleterre provenant d’un panneau extérieur du Diptyque Wilton, (1395) (National Gallery, Londres) sans doute l’œuvre anonyme d’un artiste anglais ou français représentatif du Gothique International.

Cygne (1650)

Mais la symbolique peut être guerrière et se manifester avec l’image d’un animal furieux comme le « Cygne » (1650) de Jan Asselyn, (1610-1652), (Rijksmuseum Amsterdam), peintre néerlandais qui montre l’oiseau défendant farouchement son nid contre un ennemi. En fait, il s’agit de l’image de la résistance hollandaise face aux espagnols. Autre symbole, celui de l’autosatisfaction de la classe dirigeante illustrée par « le monarque du Val », superbe cerf dominant, œuvre du peintre anglais animalier Edwin Landseer (1802-1873).

La jeune fille à la licorne (1604)

Mais le plus bel animal n’a jamais existé puisqu’il s’agit de la Licorne dont la valeur symbolique est la virginité. Pour illustrer ce mythe, un tableau du Dominiquin « La jeune fille à la licorne » (1604) réalisé pour le Palais Farnèse. (Source : https://www.wired.com/2015/02/fantastically-wrong-unicorn/ )

N’oublions pas que nombre de saints sont accompagnés d’animaux figurés largement dans leur iconographie, comme le lion accompagnant St Marc ou St Jérôme ou encore le dragon terrassé par St Michel.

Les animaux tels qu’on les perçoit

Croquis (Nuremberg)

Jusqu’au XVe siècle, les bordures des manuscrits enluminés comportent de nombreux animaux notamment des oiseaux, des insectes, des singes, et quelque fois des animaux extraordinaires.  A partir de la fin du XVe siècle, les artistes vont s’appliquer à traduire ce qu’ils voient, ainsi Albrecht Dürer semble vouloir imiter et même surpasser la nature. Il est fasciné par les animaux exotiques venus des découvertes lointaines comme le lion, l’autruche et surtout le célèbre rhinocéros, gravé sur bois en 1515. Source : https://www.wired.com/2015/02/fantastically-wrong-unicorn/ L’animal arrive à Lisbonne en provenance des Indes, le destinataire est le Roi Manuel Ier du Portugal qui l’offre au Pape Léon X, mais il n’arrivera jamais vivant car il mourra durant le voyage. Dürer en prend connaissance à travers un croquis arrivé à Nuremberg, véritable vision fantasmée d’un animal venu d’ailleurs.  Les postures des animaux ont émerveillé les peintres comme Léonard de Vinci lorsqu’il dessine les diverses attitudes des chats ou des chevaux.

Plus tard au Siècle d’Or, en Hollande les peintres sont séduits par les animaux de ferme et les animaux domestiques. Parmi ces artistes, citons Aelbert Cuyp (1620-1691) qui prend plaisir à peindre les vaches non loin de l’église de sa ville. Toujours au XVII° siècle, en Hollande, citons deux peintres dont les points de vue semblent opposés : Rembrandt et Paulus Potter. L’un montre la force vitale d’un lion au repos, (1652) sans doute rapporté par les marins de la Compagnie des Indes Orientales (Musée du Louvre)

Lion au repos (1652)

Jeune taureau (1647)

Chardonneret (1654)

Tandis que l’autre, Paulus Potter, posant un regard d’entomologiste sur les animaux, en reproduit chaque détail. Son « Jeune taureau » (1647) (Mauritshuis, La Haye) était considéré à son époque comme un chef d’œuvre. N’oublions surtout pas de citer le fameux « Chardonneret » (1654) de Carel Fabritius, véritable trompe l’œil (Mauritshuis, La Haye).

Whistlejacket (1762)

Foire aux chevaux (1852-1855)

En France, au siècle suivant, François Desportes et Jean Baptiste Oudry représentent des animaux avec pour prétextes des scènes de chasse, alors qu’en Angleterre Georges Stubbs va offrir de véritables portraits de chevaux comme « Whistlejacket » (1762). National Gallery, Londres) ce qui ne l’empêche pas de peindre cet étonnant « singe vert » (1798). Plus tard, dans ce domaine, Rosa Bonheur aura la même démarche en réalisant de nombreux tableaux ayant pour sujet des chevaux ou des bœufs, voir cette formidable « Foire aux chevaux » (1852-1855) (Metropolitan Museum.)

La beauté et la force animale

Depuis l’antiquité les artistes sont touchés par la beauté de certains animaux, notamment le cheval introduit dans les pays méditerranéens au cours du second millénaire.  Emblème de la force masculine, le cheval soumis, illustre l’univers ordonné de l’homme mais également l’énergie de sa force rebelle et indomptable. Léonard de Vinci est hanté par les chevaux, par la beauté de leurs corps et par la force qu’ils peuvent déployer, c’est ce qu’il tente de montrer dans « la bataille d’Anghiari » (1503-1506) disparue très vite du Palais Vecchio, mais dont on garde des dessins préparatoires.

La chasse au tigre (1615)

Au XVIIe siècle, Rubens aime représenter les passions générées par les combats d’animaux puissants, ainsi « La chasse au tigre » (1615, Musée de Rennes, © Paris 2015, Réunion des musées nationaux-Grand Palais, tous droits réservés) fait partie d’un ensemble de quatre tableaux commandés par Maximilien 1er de Bavière, illustrant de grandes chasses. Ce tableau date de l’époque où l’artiste s’épanouit pleinement, soucieux de l’effet produit par le dynamisme qu’il insuffle à ce genre de scène. 

La Course des chevaux libres à Rome (1817)

Plus tard la violence, la terreur, seront le fait de Géricault et de Delacroix. « La Course des chevaux libres à Rome » (1817) (Musée du Louvre) de Géricault montre le regard porté par l’artiste sur la fougue et la puissance du cheval qu’il connait mieux que quiconque, d’ailleurs il meurt des suites d’une chute de cheval à trente-trois ans. Rappelons que Delacroix porte également un intérêt aux animaux tels « Le Cheval effrayé par la tempête » ou « La Chasse au lion », véritable combat auquel se livrent les hommes et les animaux.

Animaux de compagnie

Époux Arnolfini (1434)

Difficile de discerner parmi les œuvres des peintres, ce qui relève de l’observation ou de l’attirance exercée par les animaux sur les hommes. Il faudrait citer le chien, symbole de fidélité présent dans de nombreux tableaux. Dès la Renaissance Piero di Cosimo, lorsqu’il peint la « Mort de Procris » (1495) (National Gallery Londres) montre un chien semblant aussi triste qu’un être humain (Photo introduction, détail).

Véronèse était, paraît-il, amoureux des chiens, ils sont présents dans nombre de ses tableaux tel « Les Noces de Cana » (Louvre).

Le chien est le symbole de la fidélité dans des tableaux montrant des couples, ainsi ce petit schnauzer situé au premier plan du tableau de Jan van Eyck, les « Époux Arnolfini » (1434) (National Gallery de Londres). Un chien accompagne souvent St Augustin comme on peut le voir dans cette œuvre de Vittore Carpaccio « La vision de St Augustin » 1501/1505 où l’animal assis semble en attente de quelque chose de la part du saint.

Titien peint très souvent des chiens aux côté de femmes nues, voir « la Venus d’Urbino » (1538/1540) (Musée des Offices Florence) scène troublante inspirée de la « Vénus endormie » de Giorgione. Il s’agit d’un des derniers tableaux de la veine naturaliste de cette période du peintre avant qu’il ne cède à la vague maniériste.

la Venus d’Urbino (1538/1540)

Velasquez ne sera pas en reste, bien que ses chiens semblent avoir un rôle énigmatique et passif en marge de l’action qui se déroule à côté d’eux. En Angleterre, Reynolds met souvent en scène des chiens en compagnie de portraits d’enfants.

Le maître des chats est Théophile Alexandre Steinlen qui consacre à cet animal de nombreuses œuvres à partir de 1880. À retenir la célèbre affiche «la Tournée du Chat Noir avec Rodolphe Salis » du nom du cabaret de Montmartre dont il fait la promotion (1896), (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France). C’est l’une de ses meilleures affiches où il montre ses dons de graphiste en même temps qu’une sobriété proche des Nabis.

Avant lui Manet interprétant la Venus d’Urbino installe sur le lit…. Un chat au lieu du chien, dans « L’Olympia » (1863). Et tant d’autres animaux proches des hommes, comme ce corbeau apportant le pain quotidien à St Antoine et à St Paul, ermites dans le désert (Retable d’Issenheim (1512-1516) par Grünewald)

la Tournée du Chat Noir avec Rodolphe Salis (1896)

Animaux massacrés

Très riches heures du Duc de Berry (c.1409)

Ce n’est pas le sujet préféré des peintres, mais quelques fois par le biais de scène de chasse, les animaux morts figurent sur des œuvres d’art.  Dès le Moyen Age, les scènes de chasse sont un sujet de prédilection pour les artistes, voir les « Très riches heures du Duc de Berry » (c.1409) (Château de Chantilly), magnifique manuscrit à enluminures réalisé par les frères de Limbourg qui ont été au service du Duc de Berry dont le style, le sens de la composition comme la représentation de la nature en font une œuvre d’exception. Il s’agit de l’évocation du mois de Décembre (R.M.N. / R.-G. Ojéda) faisant partie des mois de l’année, le sujet en est la mort d’un sanglier.

Autre scène de chasse, celles de Paolo Uccello où la brutalité n’a pas sa place, mais elle évoque plutôt une sorte de ballet où la mort semble absente.

Tête de cerf percé d’une flèche (1504)

En revanche la « Tête de cerf percé d’une flèche » (1504) (Bibliothèque Nationale de France) de Dürer est d’un réalisme étonnant, il semble que la compassion de Dürer soit exceptionnelle pour l’époque.

Cheval attaqué par un lion (1769)

Mais revenons à George Stubbs qui peint la violence effrénée dans ce tableau « Cheval attaqué par un lion » (1769, Tate, Londres, Photo © Tate – CC-BY-NC-ND 3.0 – Unported, source : https://www.tate.org.uk/art/artworks/stubbs-horse-attacked-by-a-lion-t01192) et contrairement à la logique, c’est le cheval, la victime, qui domine la scène, le lion, presque grotesque, est à peine évoqué.

Le réalisme est certainement plus tangible à travers les œuvres d’un Gustave Courbet, sans doute parce que lui-même était chasseur et que la mort des animaux faisait partie de sa vie, peut-être même y prenait-il un certain plaisir. A voir, la « Biche blessée dans la neige » où l’animal est encore vivant, mais pas pour longtemps car les chiens arrivent… Autre tableau qui célèbre la mort de l’animal : « L’hallali du cerf » (1867, © Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon)

L’hallali du cerf (1867)

Animaux agressifs

Le garçon mordu par un lézard (1593-1594)

Méduse (1598)

Tout au long de l’histoire de la peinture, des œuvres illustrent l’agressivité des animaux vis à vis des hommes. Le lézard n’est pas bien méchant, mais Caravage dans son tableau « Le garçon mordu par un lézard » (1593-1594) (National Gallery, Londres, source : https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/michelangelo-merisi-da-caravaggio-boy-bitten-by-a-lizard) montre un adolescent à la beauté androgyne mis en scène au moment où il perçoit la douleur. L’artiste élève ce fait divers au même rang qu’un épisode biblique ou religieux, le quotidien est à égalité avec l’histoire à moins que, avec Caravage, ce ne soit le contraire…

 

La Méduse, l’une des trois Gorgones est une femme aux cheveux faits d’entrelacs de serpents. Quiconque la regardait était transformé en pierre. Elle a été décapitée par Persée. Caravage, encore lui, met en scène une tête de Méduse sur un bouclier, référence à Ovide, symbole de défense et en même temps, appel à la force morale pour rester armé contre les tentations du monde (Méduse) 1598 (Musée des Offices, Florence).

la chute d’Adam et Ève (1475)

Évoquons le serpent qui est l’animal le plus rusé crée par Dieu. Il est le Diable qui sous l’apparence d’un serpent séduit Ève comme dans «la chute d’Adam et Ève » (1475) de Hugo van der Goes (Vienne Kunsthistorisches Museum). L’œuvre, partie d’un diptyque, est animée d’une passion inquiète, celle de son auteur, elle souligne l’isolement du premier couple au sein d’un paradis exubérant face à un serpent qui est presque humain.

Mais le serpent et sa morsure peuvent être une aide. Cléopâtre fait appel à sa morsure pour quitter ce monde. Giampietrino (actif entre 1508 et 1549) en donne une image dans la « Mort de Cléopâtre » (Musée du Louvre, © 2008 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot).

Mort de Cléopâtre

Étant donné l’étendu du sujet, cet exposé est très loin d’être exhaustif, il procède d’un choix personnel et, bien évidemment, un grand nombre d’œuvres auraient mérité d’y figurer.

Francisco de Goya, Le Chien, vers 1819-1823, Madrid, musée du Prado