La passion pour les carlins en Europe au XVIIIe siècle

Parmi les œuvres d’art créées au XVIIIe siècle, toute une génération d’amateurs d’art se passionnèrent pour les chiens et plus particulièrement pour les carlins, à tel point que toute personne de qualité se devait d’en posséder, et de les représenter en tableau ou en sculpture.

Le carlin est une race de chien provenant de Chine et arrive en Europe par la « Dutch East India Company » au XVIe siècle. Son nom vient du comédien Carlo Antonio Bertinazzi qui jouait le rôle d’Arlequin avec un masque noir.

C’est un petit chien à poil ras au corps massif, bas sur pattes et avec un museau aplati. Il a un côté « snob » et aime le luxe, mail il est aussi comique et joueur, aimant faire le clown.

Il devient le chien favori des grandes Cours d’Europe comme celle de William d’Orange, la princesse Elisabeth Holstein, Louis XIV, Louis XV et Madame de Pompadour, Marie-Antoinette etc. … Le carlin a été aussi le chien préféré de la famille Bonaparte, Lucien en avait une douzaine, la Reine Victoria (1819-1901) en possédait environ trente-huit. Au XIXe siècle, les carlins sont devenus les chiens favoris de la bourgeoisie croissante.

Le carlin, chien préféré de la société, a été choisi comme symbole franc-maçonnique, sans doute parce que c’était un chien étranger pas comme les autres, et considéré comme exotique. Il était appelée Mops en Allemagne et en Russie.

L’ordre des mops (carlins)

L’ordre des Francs-maçons a été excommuniée par le Pape Clément XII en 1736, et pour palier à cette interdiction, les Allemands ont fondé vers 1738/1740 une société secrète qui a pris le nom de Mops (ordre des carlins). Cette loge permettait ainsi aux membres de la franc-maçonnerie de pouvoir continuer à se réunir. En 1754, les loges étaient au nombre de 19.

Cet ordre était des plus pittoresques et avait cette idée de liberté et d’égalité entre les membres qui étaient issus en majorité des familles nobles de Saxe et de la Cour. C’était un des seuls ouvert aux femmes qui avaient un pouvoir équivalant aux hommes.  Est-ce pour cela que les paires de carlins en céramique représentent un mâle et une femelle ? (Photo 1)

Au XVIIe siècle, pendant la période Baroque où la haute société dominait les pays et les peuples, la vie de Cour était basée sur la bonne conduite, la courtoisie, la conversation et les bonnes manières.

Avec le Rococo au XVIIIe siècle, tout était élégance, politesse, charme, beauté et sensualité. C’était aussi pour les Allemands le siècle de la galanterie, entendons par là le siècle des cadeaux, des présents d’objets d’art ou objets de vertu, luxueux et raffiné, que l’on offrait à une dame en gage de politesse.

Photo 1 -Meissen 18e

La représentation des carlins dans les arts

Dans la peinture, les carlins sont généralement représentés près de leur maître.

Parmi les premières sculptures connus, citons deux bronze de carlins femelles attribués à Hubert Gerhard (1540-1620) conservés au musée de Kassel. (Photo 2)

Les premières statuettes en porcelaines sont de Meissen (Saxe) et datent de 1734. De modèles différents, ils ont des postures variées. (Photo 3) Inspiré par une sanguine de Nicolas Lancret, le carlin complète les couples galants des 1736. (Photos 4 et 5)

Photo 2 – Carlin en bronze

Photo 3 – Carlin en relief

Photo 4 – Couple galant avec carlin

Photo 5 – Couple galants

Puis vers 1741, créations en différentes tailles d’un couple de carlins assis, un male et une femelle et son chiot qui tète. (Photo 6)

A partir de 1745, les paires de carlins avec ou sans collier -parfois peint en bleu qui était aussi un des symboles de l’ordre des Mops-, avec ou sans cloches, sont présentées sur une terrasse ornée de feuillages et brindilles fleuris ou sur des coussins. D’autres modèles de carlin vont voir le jour à la même époque dont un carlin sur ses quatre pattes d’après le tableau de J-B Oudry. Les carlins acquièrent une place importante dans la production de porcelaine à Meissen et sont principalement de la main de Johann Joaquim Kändler (1706-1775), le plus grand modeleur de porcelaine de l’histoire, qui travailla toute sa vie à la manufacture. Il s’entoura d’une équipe brillante : Peter Reinicke, Johann Gottlieb Ehder et Johann Friedrich Eberlein.

Les carlins de porcelaine sont aussi, grâce au talent des peintres, réalistes et représentent bien cette race aux larges yeux en saillie, des oreilles écourtées et une queue repliée. Parmi les objets de vertus, signalons des boîtes, des tabatières avec des scènes peintes représentant des carlins ou en relief sur des couvercles, ou des boîtes en forme de tête de carlin. Très expressifs, tous ces animaux, figurines et groupes étaient destinés soit pour la table, pour le plaisir des yeux et stimuler la conversation, ou à être exposés dans les salons et appartements.

Photo 6 -Meissen 18e

Si la fabrique de Meissen a été influencé par la Chine (photo 7) et le Japon, elle a ensuite inspiré les autres manufactures européennes. Citons en Europe, l’Angleterre avec Chelsea, Derby, Minton, Staffordshire, l’Autriche (Vienne vers 1746), la Belgique (Tournai en faïence (photo 8) et en porcelaine), la France avec la faïence de Lille (photo 9), la faïence fine de Pont-aux-choux (Paris), la faïence (photo 10) et porcelaine de Strasbourg, la porcelaine tendre de Vincennes, Mennecy et Samson (Paris) au XIXe siècle (photo 11), l’Italie avec Capodimonte (Naples) et sa porcelaine tendre vers 1748-55 et d’autres manufactures allemandes (porcelaine de Höchst, Frankenthal, Nymphemburg, faïence de Schrezheim (dans le Württemberg), porcelaine de Friedberg au XIXe siècle), etc.

Photo 7 – Carlin Chine

Photo 9 – carlins faïence Lille

Photo 8 – Chiens Tournai

Photo 11 – Carlins 19e Sanson Paris

Photo 10 – Carlin faïence Strasbourg

Beaucoup de carlins en céramique ont été montés en bronze doré et entourés de fleurs en porcelaine par les marchands merciers parisiens. Ils sont souvent comparés au « chien de Fö » chinois.

Le carlin est considéré comme un ornement attractif et a été immortalisé en porcelaine ou en faïence et reste aujourd’hui un symbole de survivance de l’ordre des Mops. Il ne faut pas pour autant associer à cet ordre maçonnique tous les groupes galants accompagnés d’un carlin principalement en porcelaine de Meissen ou en faïence, néanmoins certains groupes ont été spécialement faits dans ce sens. Produit en porcelaine, porcelaine tendre, faïence et faïence fine, mais aussi en émail et même en bois, ces productions illustrent le goût pour ces chiens.

Le rôle de l’expert consiste à déterminer l’authenticité des ces animaux car cette passion a continué au XIXe et XXe siècle, ainsi que leur production en miniature. Si les moules restent identiques, le procédé de coulage de la porcelaine est différent ainsi que la peinture et les couleurs.

Seul la manufacture Samson à Paris a su imiter à la perfection les carlins du XVIIIe siècle.

Vers 1900, Gallé a innové avec un carlin debout plus naïf, de grande taille, la tête levée et aux oreilles un peu plus développées.

Ouvrage consulté :

The T&T Collection, Porcelain Pugs, A Passion, ouvrage collectif sous la direction de Claire Dumortier et Patrick Habets, Yale University Press, 2019