Les Wadokei et la symbolique du temps au Japon

La collection d’horloges japonaises Wadokei présente un très grand intérêt. Elles sont les témoins d’une période particulière de l’histoire du Japon, durant l’ère EDO (1603- 1868), au cours de laquelle le système horaire japonais dit « temporel » était particulièrement complexe. Ce système horaire a changé en 1873 pour devenir commun à celui de l’Occident, rendant obsolètes les horloges de l’ère EDO. Il faut les considérer non pas uniquement comme des garde-temps mais comme des objets d’art adaptés au mode de vie nippon de cette époque avant la modernisation d’un pays resté fermé aux étrangers durant 130 ans.

Bien que rares sur le marché des antiquités, elles apparaissent lors de dispersion de collections ou de succession dans une famille ayant voyagé en Asie. On trouve peu d’informations sur ces horloges souvent ramenées par les Anglo-saxons et les Américains, grands voyageurs, lesquels les ont préservées de la disparition en les achetant souvent comme objets de curiosité. On privilégiera l’acquisition des horloges à poser type « lanterne » qui sont beaucoup moins courantes que les horloges à suspendre type « piliers », construites plus tardivement et d’un prix de revient moins élevé.
Les « lanternes » à double foliot et cadran fixe sont d’une construction mécanique des plus intéressantes. Celles à foliot unique bénéficient d’un cadran tournant qui simplifie son utilisation mais qui est plus courant que les précédentes. Un autre élément à prendre en considération est l’aspect esthétique des « lanternes » de période tardive, du début du 19e siècle, au cours de laquelle cette horlogerie était à son apogée en matière de qualité et de beauté. Le travail de ciselure du décor est un des éléments qui montre le talent de l’artiste qui complétait le travail de l’horloger. Enfin, l’idéal est de découvrir une « lanterne » avec son superbe cabinet ou son socle d’origine, gage d’un investissement très judicieux.

De mon point de vue, elles restent d’un coût accessible eu égard à leur rareté ainsi que leur importance historique et culturelle. Ce domaine étant mal connu des collectionneurs d’horlogerie, je suis à disposition pour donner des conseils et informations permettant d’apprécier l’opportunité de telles acquisitions.

Philippe Drevon, Expert CNES, Horlogerie et Montres de collection

La collection d’horloges japonaises Wadokei présente un très grand intérêt. Elles sont les témoins d’une période particulière de l’histoire du Japon, durant l’ère EDO (1603- 1868), au cours de laquelle le système horaire japonais dit « temporel » était particulièrement complexe. Ce système horaire a changé en 1873 pour devenir commun à celui de l’Occident, rendant obsolètes les horloges de l’ère EDO. Il faut les considérer non pas uniquement comme des garde-temps mais comme des objets d’art adaptés au mode de vie nippon de cette époque avant la modernisation d’un pays resté fermé aux étrangers durant 130 ans.

Bien que rares sur le marché des antiquités, elles apparaissent lors de dispersion de collections ou de succession dans une famille ayant voyagé en Asie. On trouve peu d’informations sur ces horloges souvent ramenées par les Anglo-saxons et les Américains, grands voyageurs, lesquels les ont préservées de la disparition en les achetant souvent comme objets de curiosité. On privilégiera l’acquisition des horloges à poser type « lanterne » qui sont beaucoup moins courantes que les horloges à suspendre type « piliers », construites plus tardivement et d’un prix de revient moins élevé.
Les « lanternes » à double foliot et cadran fixe sont d’une construction mécanique des plus intéressantes. Celles à foliot unique bénéficient d’un cadran tournant qui simplifie son utilisation mais qui est plus courant que les précédentes. Un autre élément à prendre en considération est l’aspect esthétique des « lanternes » de période tardive, du début du 19e siècle, au cours de laquelle cette horlogerie était à son apogée en matière de qualité et de beauté. Le travail de ciselure du décor est un des éléments qui montre le talent de l’artiste qui complétait le travail de l’horloger. Enfin, l’idéal est de découvrir une « lanterne » avec son superbe cabinet ou son socle d’origine, gage d’un investissement très judicieux.

De mon point de vue, elles restent d’un coût accessible eu égard à leur rareté ainsi que leur importance historique et culturelle. Ce domaine étant mal connu des collectionneurs d’horlogerie, je suis à disposition pour donner des conseils et informations permettant d’apprécier l’opportunité de telles acquisitions.

Philippe Drevon, Expert CNES, Horlogerie et Montres de collection

Les premières horloges occidentales furent introduites en Extrême-Orient au 16e siècle par des missionnaires Jésuites. Durant l’ère EDO, de 1603 à 1868, le Japon fut gouverné par des shoguns, chefs militaires régionaux issus du clan Tokugawa qui unifia le pays, l’empereur n’ayant plus alors qu’un rôle symbolique. Méfiants à l’égard de l’Occident pour son christianisme perçu comme une menace pour l’équilibre social, les shoguns ferment le Japon aux influences étrangères en 1614. Ils interdisent tout déplacement des Japonais à l’étranger et expulsent les Européens, ne tolérant que quelques marchands hollandais sur l’îlot de Dejima, à Nagasaki.

Ainsi, pendant près de 250 ans, les horloges furent construites artisanalement à partir des modèles importés au début du 17e siècle. Les techniques horlogères utilisées datent de cette époque. Elle ont commencé à évoluer lorsque le Japon s’est ouvert aux Occidentaux à partir de 1854. La régulation horaire à balancier foliot avait été abandonnée dès le milieu du 17e siècle en Europe avec l’invention du pendule par Christian Huygens en 1657. Faute de contact avec les horlogers européens, le balancier à foliots régulera les horloges au Japon jusqu’au milieu du 19e siècle.

Le système horaire japonais, sous l’ère EDO, très complexe restera en usage jusqu’en 1873, date à laquelle l’empereur Meiji imposa l’adoption du calendrier et du système horaire occidental.

Le système horaire japonais : complexe et périodique

Contrairement aux Européens dont le mode de vie a évolué avec l’horlogerie, les Japonais ont adapté leurs horloges en fonction de leurs traditions. Les premières horloges européennes type « lanterne » ont été modifiées pour afficher des heures inégales dites « temporelles ». On les appelle des wadokei.

Le jour et la nuit étaient alors divisés chacun en 6 périodes horaires égales appelées toki et tenaient compte des heures de l’aube et du crépuscule. Au cours de l’année les durées du jour et de la nuit étant variables, les 12 périodes jour et nuit l’étaient aussi.

Chaque toki porte un numéro correspondant au nombre de coups frappés et le nom d’un des signes du zodiaque issus de l’astrologie chinoise. L’indication numérale est donnée en compte à rebours, de minuit à midi et de midi à minuit, à l’inverse de la façon occidentale, les chiffres les plus élevés étant ceux du début de la série. La numérotation va de 9 à 4 et il y a deux séries dans un jour complet, partant toutes des 2 seuls points fixes que sont minuit et midi. La sonnerie sur la cloche annonce le commencement de chaque toki en frappant de 9 à 4 coups pour chaque demi-journée.

Il faut faire la différence entre une heure précise et une période. En Occident, nous disons : il est 5h. Au Japon, la sonnerie de 5 coups indique le début de la période du Dragon entre minuit et midi ou celle du Chien entre midi et minuit. On peut se demander pourquoi la numérotation et la sonnerie commencent à 9 et se terminent à 4 au lieu de s’étaler de 6 à1. Diverses explications ont été données mais il semble que les chiffres 1-2-3 soient réservés aux monastères pour l’appel à la prière. Aux équinoxes, les 12 périodes toki ont toutes la même durée de 2 heures. Au cours des saisons, cette durée varie au Japon de plus ou moins 40 mn. Les toki ont donc une durée qui varie de 1h20 et 2h40. Ce qui rend l’affichage de l’heure particulièrement complexe.

Comme dans les horloges occidentales, il y a une sonnerie dont le nombre de coups est commandé par une « roue de compte ». En Occident, la demie heure est sonnée avec un seul coup. Au Japon, le « demi- toki » est sonné avec un ou deux coups selon le nombre de coups sonnés pour le toki précédent. L’addition des 2 doit donner un nombre pair Ainsi : c’est 9+1, puis 8+2, puis 7+1 puis 6+2 etc.

Pour effectuer ces divisions horaires à durées variables, les premières horloges possédaient un seul balancier foliot sur lequel on déplaçait les poids de régulation deux fois par jour pour les périodes nocturnes et périodes diurnes en tenant compte en plus de la variation de la durée du jour en fonction des saisons. Une personne qualifiée était en charge de cette horloge pour régler la position des poids du balancier foliot. Ces opérations ne permettaient qu’une très faible précision horaire et on avait recours aux tables astronomiques ou au cadran solaire tous les 2 ou 3 jours pour déterminer le midi ou le minuit.

Puis on a facilité l’utilisation de l’horloge en utilisant les deux moyens techniques qu’on trouve sur les deux horloges présentées ci-dessous.

Les Makura-dokei, horloges à double foliot

Ce type d’horloge possède un double échappement relié au système d’engrenages, réglé par deux balanciers à foliot qui oscillent à des vitesses différentes le jour et la nuit. Chacun de ces deux échappements est mis en service automatiquement et alternativement après la sonnerie de la sixième période du jour et de la nuit. Il fallait seulement régler la position des poids sur chacun des foliots tous les 15 jours environ pour que la durée totale des 12 périodes jour/nuit corresponde au temps solaire.

Bien que leur architecture apparaisse d’une grande simplicité, l’horloger restaurateur doit découvrir et comprendre les techniques d’assemblage. On reste interrogatif et admiratif de ne voir aucune vis, à part une ou deux pour tenir le cadran et le dos du boîtier. Tout est emboîté et ajusté avec une très grande précision tel un puzzle. On y trouve juste quelques clavettes pour le blocage final.

L’échappement à verge est très sensible à la force transmise par le rouage. Cette horloge est mue par des ressorts qui sont reliés par une corde en boyau à des fusées coniques destinées à compenser la variation de tension de ces ressorts au cours du fonctionnement. Le remontage avait lieu tous les deux jours en général. Le rouage est entièrement en fer et le taillage des dents à la lime démontre une grande dextérité manuelle. Les dents sont dessinées au compas alors que les horlogers occidentaux utilisaient des machines « à diviser ».

Le boîtier de cette horloge, en 3 parties reliées par des charnières, est parfaitement ajusté au bâti. Sur l’extérieur, on voit un décor gravé puis laqué de fleurs de pivoines en laque rouge. Côté intérieur des portes, se trouvent des gravures de paysage et de végétation.

Ces horloges étaient en général logées dans un cabinet en bois, de forme très élégante qui peut être posé sur un meuble bas. Peu de ces cabinets ont survécu.

Les Dai-dokei, horloges à poids moteur

Cette deuxième horloge, type « Dai-dokei » avec son poids moteur est d’une construction plus simple que la précédente : l’aiguille est fixe et c’est le cadran, type Warikoma qui tourne. Le boitier est en laiton sans décor montrant une grande élégance dans la simplicité. Munie d’un seul échappement à foliot, l’ajustement des tokis variables s’effectuait en déplaçant les index des tokis tous les 15 jours. Ceux-ci affichent seulement la numérotation du toki sans les signes du zodiaque. Le mécanisme entraîne une roue solidaire du cadran portant les tokis dont on voit ici la face interne.

Ces cadrans montrent les 3 réglages des tokis à minuit aux dates des équinoxes de printemps ou automne, puis des solstices d’été et d’hiver.

Avec son poids moteur, elle était généralement posée sur un socle très décoratif de forme pyramidale de grande qualité. Elle était rarement accrochée à un mur car l’habitat japonais fait de cloisons très légères à cause des tremblements de terre, ne le permettait pas. Avec une hauteur de socle d’un mètre environ et un rouage mécanique assez simple, son autonomie était faible et nécessitait un remontage une ou deux fois par jour.

Des objets symboliques fabriqués artisanalement

La notion d’heure précise était secondaire et les horloges représentaient plus un objet relié au symbolisme zodiacal qu’un instrument horaire chargé d’organiser la vie courante, laquelle était réglée par la sonnerie des temples et édifices religieux comme cela était en Europe au Moyen Âge. Ces horloges, d’un coût de plusieurs années de salaire d’un ouvrier, appartenaient à de riches familles auxquelles était attaché un responsable de l’entretien, du remontage et du réglage des poids situés sur les foliots ou des index variables du cadran.

Les artisans japonais ont toujours maîtrisé l’art du métal et toutes les horloges étaient fabriquées entièrement à la main avec un outillage simplifié sur lequel nous n’avons quasiment aucune information. Il n’y a pas deux horloges complètement identiques.

Très rarement signées et datées, on dispose de très peu d’informations sur leurs fabricants et les techniques utilisées. Leur datation est aléatoire puisqu’elles ont été reproduites par des artisans locaux sur des modèles qui existaient. Plusieurs historiens et chercheurs en horlogerie ont émis des hypothèses en se basant sur les matériaux utilisés, les techniques de construction et d’assemblage.

Le tableau ci-dessous tente de résumer les périodes de fabrications mais on y voit de tels chevauchements qu’il est peu exploitable. On doit juste admettre que toutes ces horloges ont été fabriquées entre le début du 17e et le milieu du 19e… La seule certitude est que le foliot a été remplacé par un balancier annulaire et ressort spiral dans la première moitié du 19e siècle, tout en continuant d’utiliser le vieil échappement à verge.

Les Shaku-dokei, horloges piliers

Pour compléter l’information générale sur l’horlogerie japonaise, il est intéressant de mentionner les réalisations des horlogers japonais vers la fin du 18ème siècle avec le début d’une normalisation dans les techniques horlogères et des apports nouveaux typiquement japonais.

Ainsi, comme indiqué en introduction, les horloges Wadokei sont issues d’une adaptation des horloges « lanternes » européennes. Cependant, les horlogers japonais ont créé, tardivement, vers 1780, une horloge à poids particulièrement originale nommée Shaku-dokei avec une utilisation logique et simple du poids qui entraîne le mouvement de l’horloge. Nous les appelons « horloges piliers ».

Ces horloges étaient une invention japonaise unique en indiquant l’heure sur une échelle verticale linéaire au fur et à mesure que le poids descendait. L’affichage des heures « temporelles » était indiqué soit par des tokis variables comme sur un cadran Warikoma soit par un diagramme des heures « temporelles » qui évitait toute intervention manuelle. Certains les appellent horloges « graphiques ». Il existe de nombreuses versions de ce type d’horloge, qui ont été fabriquées jusqu’à l’adoption du système horaire occidental. Les premières utilisaient d’abord le foliot, puis le balancier circulaire, avec ou sans spiral et enfin le pendule. Le principe est le même dans tous les différents types de Shaku-dokei.

D’une taille de 40 à 50 cm de haut, il était nécessaire de remonter le poids tous les jours pour que l’index horizontal qui lui est solidaire soit au début de l’échelle qui indique l’heure du crépuscule. L’index descendra alors jusqu’au crépuscule suivant. Le cadran vertical à index variables s’utilise de la même façon que les Wadokei à cadran Warikoma des horloges lanternes. Ils sont ajustés tous les 15 jours. Le cadran à diagramme est plus précis et donne les « heures temporelles » sans réglage. Il est appelé Nagamata ce qui signifie « vague de mer », image des ondulations que représentent graphiquement les « heures temporelles ».
Il est composé de 12 lignes verticales correspondant aux demi mois lunaires. A noter que les mois lunaires nécessitaient une correction périodique pour que les saisons correspondent au calendrier solaire. Ce sujet est fort complexe à développer. Sur les extérieurs sont indiqués les « tokis » et les signes du zodiaque. L’intersection entre l’index horizontal et une ligne des « tokis » indique l’heure « temporelle » du jour.

Le diagramme commence à gauche au solstice d’hiver (sens1) et se termine au solstice d’été. Il fallait ensuite faire la lecture dans le sens inverse pour continuer le calendrier et retrouver le solstice d’hiver. (sens 2) Dans les horloges à index variables type « Warikoma », on a un mouvement de sonnerie, lequel n’est pas situé dans le mécanisme horaire mais dans le poids qui fait fonctionner l’horloge. Animé par un ressort, il est déclenché au contact de l’index variable et sonne grâce à une roue en « dents de loup » qui non seulement effectue le comptage mais assure les levées du marteau qui frappe sur la cloche. Les horloges à diagramme n’ont pas de sonnerie, du fait de l’absence d’index variable.

Au début du 19e siècle, l’habit traditionnel japonais ne comportait pas de poche, des boîtes appelées Inro étaient accrochées à la ceinture. Les horlogers construisirent des horloges miniatures type Makura-dokei à cadran Warikoma pour les loger dans des boîtiers type Inro appelés Inro- dokei

Après 1854, l’ouverture progressive au commerce avec les Occidentaux permit l’importation d’articles manufacturés. Ainsi, durant les dernières années du système horaire japonais de l’ère EDO, on adapta les heures « temporelles » sur des mouvements de montres de poches importées en modifiant le rouage pour obtenir un cadran de 24h type Warikoma. Les boîtiers restaient fabriqués au Japon.

A l’avènement du système horaire occidental, toutes ces horloges devinrent inutiles et victimes du peu d’intérêt de leur possesseur, hormis ceux détenant des chefs- d’œuvre artistiques. Elles devinrent des objets de curiosité dans les magasins d’articles d’occasion et la plupart des survivantes ont été acquises par des voyageurs occidentaux qui les ont ramenées dans leur pays. Depuis le milieu du XXème siècle, elles retrouvent progressivement le chemin du Japon.

A l’ère EDO succéda l’ère Meiji, en 1868, lors du retour au pouvoir de l’empereur dont la priorité a été de moderniser le Japon dans son esprit et dans sa façon de vivre.