L’animal de compagnie dans la petite statuaire française de la seconde moitié du XVIIIe siècle
Depuis les chapiteaux romans, la représentation animale a accompagné toutes les évolutions de la sculpture européenne et s’est adaptée à tous les matériaux employés. Les attributs zoomorphiques du tétramorphe, le chien d’Adonis, celui de saint Roch, ou encore celui de la fidélité, couché aux pieds d’un gisant féminin, le lion de saint Jérôme, celui symbolisant la force ou la bravoure, et celui encore de Némée terrassé par Hercule, les crabes et autres batraciens et reptiles en bronze des studioli de la Renaissance, les chevaux des monuments équestres et leurs précieuses réductions en bronze… Pendant plus d’un demi millénaire, l’animal a ainsi fait l’objet d’une foisonnante iconographie, représenté en tant qu’allégorie, attribut, objet d’étude scientifique ou élément d’un sujet d’histoire.
La seconde moitié du XVIIIe siècle voit l’émergence, en France, d’une iconographie d’un nouveau genre, dédiée aux espèces animales dites « de compagnie ». Chiens, oiseaux ou chats deviennent le sujet principal d’une petite statuaire en terre cuite, plâtre ou bronze. L’animal est alors choisi pour lui-même et pour la place qu’il occupe dans le cadre domestique, notamment auprès des enfants. Clodion se fait une spécialité de ce thème novateur, qui connaît un grand succès auprès des amateurs privés, comme le financier Jacques Onésyme Bergeret de Grandcourt.
Clodion, Monument à un chien, musée Cognacq-Jay
Clodion, Mausolée à Ninette, musée Historique de Lorraine
Ce dernier, commande au sculpteur plusieurs monuments à la mémoire de ses compagnons à poils et à plumes. Pour le Monument à un chien, aujourd’hui au musée Cognacq-Jay (fig. 1), Clodion adapte un modèle de monument funéraire, apanage des rois et dignitaires, et pousse même le mimétisme jusqu’à simuler une épitaphe gravée sur le piédestal. Le chien, un petit griffon, est confortablement couché sur un épais coussin et tient une gimblette sous la patte avant droite ; sa tête est redressée et il observe le spectateur. Clodion modèle un petit monument plus élaboré encore pour la regrettée chienne de l’épouse de Bergeret, le Mausolée à Ninette, dont une version se trouve à Nancy, au Musée Historique de Lorraine (fig. 2). La ressemblance entre le chien de Nancy et celui du musée Cognacq-Jay laisse supposer qu’il pourrait s’agir de deux études successives pour un même projet.
Clodion, Mausolée de Fifi, Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Ecouen)
Houdon, La Grive morte, Salon de 1775, marbre, collection particulière
Enfin, toujours pour les Bergeret, Clodion modèle le Mausolée de Fifi (fig. 3), surmonté par le défunt serin gisant sur le dos d’un oiseau qui tient une torche éteinte entre ses serres, transposition de la figure allégorique du génie funéraire (musée national de la Renaissance, Écouen).
Évoquons ici les oiseaux en marbre d’Houdon, production atypique et méconnue du statuaire, dont fait partie la Grive morte exposée au château de Versailles en 2004 et au musée du Louvre en 2022 (collection privée), qu’il représente avec autant de sensibilité que les personnalités de son temps.
Sigisbert François Michel, Garçon enlevant un chiot à sa mère, Paris, musée des Arts Décoratifs
Sigisbert François Michel, frère aîné de Clodion, s’attache, lui, à décrire les interactions entre l’enfant et son animal de compagnie dans son groupe d’un Garçon enlevant un chiot à sa mère, dont une terre cuite se trouve en collection privée. Un plâtre patiné du modèle, avec variantes, est conservé au musée des Arts Décoratifs (fig. 4), avec son pendant, Fillette au chat protégeant un nid. Sigisbert François s’inspire probablement de la composition du Fanfan jouant avec Monsieur Polichinelle et Compagnie de Fragonard (eau-forte, New York, The Metropolitan Museum of Art,) et substitue à la marionnette serrée dans les bras de l’enfant un chiot que sa mère réclame, agrippée à la chemise du jeune ravisseur. Pajou, dans son groupe de l’Amour Fidèle dont un plâtre patiné a été exposé au Louvre en 1997-98 (collection privée), donne une représentation comparable d’un chien précautionneusement porté par un enfant. Bien que le titre insiste sur la teneur allégorique du sujet, elle semble reléguée au second plan, au profit d’une description touchante du lien unissant un enfant et son animal de compagnie.
Arrière-petits-enfants du peintre François Boucher jouant à la main chaude, Paris, musée du Louvre
Louis Delaville pousse le thème à son paroxysme quand, à l’extrême fin du XVIIIe siècle, il intègre dans son groupe en terre cuite des Arrière-petits-enfants du peintre François boucher jouant à la main chaude les portraits des animaux de la maison (fig. 5 à 8 ; musée du Louvre). Outre le chien, léchant affectueusement la joue de la fillette qui l’enlace au premier plan, un petit rongeur, peut-être un cochon d’Inde, fait irruption au centre de la composition, alors que des oisillons s’égosillent dans leur nid tenu par l’aîné des garçons, à l’arrière-plan. Chacun de ces modestes compagnons de la fratrie semble avoir eu suffisamment de valeur à ses yeux pour prendre place dans ce groupe oscillant entre portrait collectif et scène de genre.