Aimé-Jules Dalou, sculpteur de la République
« La grande majorité des œuvres de Dalou ont été éditées de manière posthume, principalement par Susse et Hébrard. Thiébaut a fondu certaines de ses pièces ainsi que Houdebine. Quelques épreuves ont été également fondues de son vivant par un fondeur anglais Hatfield & Son, London founders. Les épreuves d’Hébrard à la cire perdue sont les plus recherchées ; elles sont moins nombreuses et de meilleure qualité de patine et de fonte, Hébrard étant considéré par les amateurs de sculpture, comme le plus grand fondeur à la cire perdue du XXe siècle. Il existe également un grand nombre de fontes Susse qui sont de qualité inégale en fonction de l’époque à laquelle elles ont été fondues. Dalou est un sculpteur prolifique, mais peu copié, raison pour laquelle il existe peu de faux sur le marché. Il existe seulement quelques surmoulages de petites pièces principalement fondues par Susse à la fonte au sable ainsi qu’à la cire perdue. Dalou se démarque principalement par son talent de modeleur et ses petites esquisses sont sublimées par la qualité de fonte et de patine de la maison Hébrard. »
« La grande majorité des œuvres de Dalou ont été éditées de manière posthume, principalement par Susse et Hébrard. Thiébaut a fondu certaines de ses pièces ainsi que Houdebine. Quelques épreuves ont été également fondues de son vivant par un fondeur anglais Hatfield & Son, London founders. Les épreuves d’Hébrard à la cire perdue sont les plus recherchées ; elles sont moins nombreuses et de meilleure qualité de patine et de fonte, Hébrard étant considéré par les amateurs de sculpture, comme le plus grand fondeur à la cire perdue du XXe siècle. Il existe également un grand nombre de fontes Susse qui sont de qualité inégale en fonction de l’époque à laquelle elles ont été fondues. Dalou est un sculpteur prolifique, mais peu copié, raison pour laquelle il existe peu de faux sur le marché. Il existe seulement quelques surmoulages de petites pièces principalement fondues par Susse à la fonte au sable ainsi qu’à la cire perdue. Dalou se démarque principalement par son talent de modeleur et ses petites esquisses sont sublimées par la qualité de fonte et de patine de la maison Hébrard. »
Aimé-Jules Dalou (1838-1902) est un artiste majeur de la deuxième moitié du XIXe siècle, tout comme Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875). C’est d’ailleurs ce dernier, de 11 ans son aîné, qui a repéré les talents de dessinateur et de modeleur du jeune Dalou. Sur les conseils de Carpeaux, Dalou s’inscrit en 1852, à la Petite École ou École nationale et spéciale de dessin, de mathématiques, d’architecture et de sculpture d’ornements, appliqués aux arts industriels, destinée à former des artisans d’art. À 15 ans, en 1853, il entre à l’École des Beaux-Arts de Paris où il bénéficie des enseignements à la fois d’Abel de Pujol, peintre néoclassique, élève de Jacques-Louis David, et de Francisque Duret, sculpteur qui a formé Carpeaux.
De caractère humble et réservé, Dalou est fils d’un ouvrier gantier et d’une couturière. Héritier des sculpteurs des XVII e et XVIII e siècles, il réalise à ses débuts des scènes tirées de la mythologie et de l’Antiquité, qu’il délaisse peu à peu pour des sujets intimistes, inspirés de son environnement quotidien et familial. Élevé dans le culte républicain, toute sa vie durant il défendra les ouvriers auxquels il rend hommage dans son Triomphe de la République (1889), monument chef-d’œuvre place de la Nation à Paris puis dans son projet de Monument aux ouvriers, dont une centaine d’esquisses sont conservées. Dalou et sa femme Irma Vuillier ont une fille unique, Georgette, handicapée. Au décès de sa femme et pour assurer la vie matérielle de sa fille, Dalou confie Georgette à l’Orphelinat des Arts, qu’il institue légataire universel. C’est ainsi que le 2 juin 1905, trois ans après le décès de Dalou, la Ville de Paris achète son fonds d’atelier. En décembre, la salle Dalou est inaugurée au Petit Palais.
Aimé-Jules Dalou, un sculpteur ornemaniste
Dès ses années d’études à l’École des Beaux-Arts, Dalou effectue des travaux « alimentaires ». Comme Rodin et beaucoup d’autres, Dalou fut employé sur des chantiers de sculpture décorative, dans une capitale en pleine transformation architecturale sous la houlette du baron Haussmann. En 1864, à l’âge de 26 ans, il est engagé par l’architecte Pierre Manguin sur le chantier de l’hôtel particulier néo-Renaissance de la marquise de Païva, l’une des plus célèbres courtisanes du Second Empire. Il y réalise plusieurs ornements de portes en bronze, des décors de plafond en stuc et une Bacchante en ronde-bosse, entourée d’une couronne de fruits, qui constitue l’élément central du manteau de cheminée de la salle à manger. Cette œuvre de jeunesse dont il effectue une variante avec l’Ève (1866, conservée à Paris, au Petit Palais), révèle son goût pour l’art de Carpeaux (Flore). Cette sculpture gracieuse de femme demi-agenouillée est directement inspirée du type des Vénus accroupies de l’Antiquité romaine. En 1866, il est engagé comme ouvrier modeleur chez les frères Fannière, importants orfèvres et sculpteurs-ciseleurs et chez Carrier-Belleuse. En parallèle, Dalou commence à présenter des œuvres au Salon, il expose ainsi au Salon de 1861 la Dame romaine jouant aux osselets.
Les scènes intimistes de Dalou
1870, premiers succès au Salon – 1871, exil à Londres
La Brodeuse, présentée au Salon de 1870, lui apporte ses premiers succès. Achetée par l’État qui lui en commande le marbre, ce dernier est malheureusement non réalisé en raison de la guerre franco-allemande puis de la Commune. Avec cette œuvre d’un genre nouveau, Dalou semble avoir trouvé sa voie : il délaisse peu à peu les sujets conventionnels, tirés de l’Antiquité et de la mythologie, pour des sujets réalistes inspirés de son environnement quotidien et familial.
Dalou prend parti pour les Communards mais sa situation est compromise avec la chute de la Commune en mai 1871 ; en juillet 1871 il choisit alors l’exil et part pour Londres avec sa femme et leur fille Georgette.
Exilé à Londres de 1871 à 1879, Dalou y est accueilli chaleureusement, notamment par son ancien condisciple de la Petite École, le peintre et graveur Alphonse Legros. Il produira des sujets intimistes : femmes au bain, femmes lisant, femmes berçant, femmes allaitant… Dalou représente des contemporaines en costume moderne et de nombreux portraits, très appréciés par l’aristocratie britannique. Ils correspondent à la fois à la place qu’occupe pour lui sa famille et au goût de ses commanditaires : des financiers ou des propriétaires terriens, qui voient en lui un artiste dans la tradition des sculpteurs du XVIIIe siècle français.
Dalou obtiendra deux commandes majeures lors de son séjour anglais. D’une part, un monument public qui lui est commandé en avril 1877 : la Charité, groupe en marbre qui surmonte une fontaine de la City de Londres. D’autre part, un monument funéraire à la mémoire des cinq petits-enfants de la reine Victoria morts en bas âge pour sa chapelle privée de Frogmore House, à Windsor, dont la maquette a été acceptée en juillet 1877. En 1879, Dalou crée un deuxième groupe pour la reine Victoria, à la mémoire de la Princesse Mary de Hesse. L’Ange à l’enfant en est l’esquisse préparatoire.
Baigneuses & scènes mythologiques de Dalou
Profondément marqué par les représentations féminines de son maître Carpeaux, Dalou s’en inspire lorsqu’il commence à travailler à partir des années 1860 sur le thème des nus et des baigneuses.
Représentant ses baigneuses dans leurs gestes quotidiens de toilette, la sensualité de cette thématique marquera l’ensemble de ses représentations féminines tout au long de sa carrière. Le modèle préféré de Dalou est son épouse. Multipliant les études, Dalou travaille d’abord sur papier avant de s’attaquer au plâtre puis à la terre cuite. Dalou répond au goût d’une riche clientèle privée, avide de « néo-Renaissance » ou de « néo-Louis XV ».
Tout comme pour sa série des Baigneuses, Dalou reprend des sujets maintes fois traités par les maîtres des XVIIe et XVIIIe siècles en représentant des scènes tirées de la mythologie. De nombreuses études et esquisses conservées dans son fonds d’atelier en témoignent. Le traitement en est cependant éloigné : aux lignes courbes, lisses et à la suavité, répondent torsions et déséquilibres, accentués par des surfaces chaotiques au modelé vigoureux, dans la droite ligne de Carpeaux. Ces études, modelées dans un temps court et dont le sculpteur s’entourent dans son atelier sont un laboratoire formel dans lequel il puise son inspiration. Parallèlement, Dalou exécute des pièces à sujets mythologiques pour une clientèle privée, dans un style plus conventionnel.
Dalou portraitiste
Selon Wassili Joseph, les portraits de Dalou représentent un tiers de sa production. Beaucoup sont faits par amitié ou en gage de reconnaissance. Si ses premiers portraits s’inscrivent dans la double tradition des portraits en terre cuite de Houdon puis de Carpeaux, comme on peut l’examiner dans le sensible Buste de Mademoiselle Vuillier (belle-sœur de l’artiste) en terre cuite, vers 1870 : une attention particulière est portée à l’expression du regard. À l’instar de Houdon, il creuse l’iris pour ménager un élément en relief simulant la pupille, il crée ainsi un subtil jeu d’ombre et de lumière qui anime le regard : la terre cuite prend vie. Dans le Buste de Céline Chaumont (1877) on perçoit une évolution de son style : la portrait est réaliste et non plus idéalisé, le modèle porte ce qui semble être sa propre chemise et est coiffée de façon simple. Le réalisme et le grand soin apporté aux détails feront le succès des portraits de Dalou. Une photographie en noir et blanc présentant Dalou en train de modeler le Buste d’Edmond Huet (1895-1901) en terre, son modèle posant juste à côté, est criante de vérité : le réalisme est poussé à un tel point que l’homme semble avoir été dupliqué.
Jules Dalou, sculpteur de la République
Élevé dans le culte de la République, Aimé-Jules Dalou est un sculpteur engagé dont l’ambition n’est pas de réaliser de petits sujets plaisants pour une clientèle privée mais de réaliser un monument public, visible de tous et véhiculant un message. Il va y parvenir grâce à sa ténacité et ses succès aux Salons.
En avril 1879, la Ville de Paris met au concours une allégorie monumentale de la République, pour la place de la République, rue du Château d’Eau ; le concours est remporté par les frères Morice mais la sculpture de Dalou reçoit aussi les honneurs et est saluée par le public. C’est ainsi qu’en juin 1880, la Ville de Paris commande à Dalou le Triomphe de la République, destinée à une autre place parisienne aussi importante et symbolique : la Place du Trône, rebaptisée Place de la Nation. Il s’agit du plus ambitieux monument public du XIXe siècle. Dalou propose une relecture grandiose du monument royal, avec un style neuf destiné à imposer les idées d’un régime nouveau. Il puise dans la monumentalité des statuaires du jardin de Versailles, dans le mouvement baroque de Puget et emprunte aux surtouts de table du Grand Siècle la forme et l’ornement du char triomphal. Dans une lettre à son ami et sculpteur Edouard Lindenher, il écrit : « la chose est dans une tendance Louis XIV !!! style que je vénère par-dessus tout ». Le monument de Dalou est inauguré deux fois. Une première fois en septembre 1889, dans sa version en plâtre recouvert d’une patine imitant le bronze : pour contrer la menace boulangiste, un défilé républicain est organisé ; cet étalage de la puissance de l’armée ne plaît pas à Dalou. Une deuxième fois le 19 novembre 1899, en pleine affaire Dreyfus, avec un défilé de 30 000 ouvriers, syndicats, maires et loges maçonniques ; une manifestation populaire dont Dalou s’enthousiasme.
Quelques années à peine après son retour d’Angleterre, Dalou est la révélation du Salon de 1883, à tel point qu’il sera surnommé le « Salon Dalou ». Il y présente La Fraternité (alors intitulée La République) et les États Généraux, séance du 23 juin 1789, deux bas-reliefs en plâtre pour lesquels il reçoit la médaille d’honneur. La Ville de Paris acquiert La Fraternité et Dalou est fait chevalier de la Légion d’Honneur.
En 1884, Dalou participe à un concours ouvert pour l’érection d’un Monument à Gambetta dans les jardins du Carrousel à Paris. Son projet n’est finalement pas retenu. Le sculpteur doit attendre 1900 pour qu’une autre commande à Bordeaux lui soit passée.
Dalou voue une grande admiration pour Victor Hugo, en tant qu’artiste et homme politique. Le 22 mai 1885, alors que le poète est mourant, la belle-mère de Georges Hugo contacte Dalou : « Je trouve V. H. très mal ce matin et je vous demande de venir aujourd’hui. (…) Prévenez votre mouleur. » Amédée Bertault prend l’empreinte de son visage, sous la direction de Dalou ; l’original de ce masque mortuaire est conservé au musée Carnavalet.
Dalou participe à l’organisation des funérailles nationales qui ont lieu de l’Arc de triomphe au Panthéon.
Le Monument aux ouvriers de Dalou
Déçu de l’inauguration en septembre 1889 du modèle en plâtre du Triomphe de la République, Dalou décide de composer un monument où l’ouvrier serait au centre. Déjà présent dans le Triomphe de la République (1879) avec un forgeron en tablier tirant le char, allégorie du Travail, l’ouvrier est au centre de ce projet tenu secret.
Pour se faire, Dalou réalise des croquis de scènes de la vie quotidienne, de travailleurs sur les chantiers parisiens et lors de ses déplacements : ainsi paysans, jardiniers, paveurs, terrassiers, vanneurs, pêcheurs, mineurs sont autant d’ouvriers dessinés et observés par l’artiste. Ce travail peut être rapproché de la série Les Cris de Paris (v. 1730), cinq suites de douze dessins du sculpteur Edme Bouchardon, représentant les artisans et petits métiers de Paris.
En plus de ce travail sur le terrain, Dalou récupère auprès d’agences photographiques des clichés anonymes représentant ouvriers et paysans, lui fournissant ainsi tout un répertoire de types et de poses complémentaires. Dalou avait également connaissance du travail d’Étienne-Jules Marey, l’un des pionniers de la chronophotographie qui consiste en la prise de photographies instantanées, pour décomposer le mouvement. Enfin, à ce travail documentaire, s’ajoute de nombreuses séances où un modèle professionnel reprend la pose exemplaire retenue par Dalou. Il s’agit de parvenir à ce qui fait l’essence du métier ou du geste.
Toutes ces études sont un répertoire de formes dont l’artiste se nourrit pour les autres monuments qu’il réalise à l’époque. Faute de commanditaire, cet ambitieux projet personnel ne verra pas le jour. Le Petit Palais conserve un grand nombre de croquis, esquisses et maquettes rendant compte de l’ampleur du travail de l’artiste. Rodin conçoit une Tour du Travail, qu’il expose en 1900 au pavillon de l’Alma mais ce monument ne sera pas non plus réalisé. Des projets contemporains, seul celui de Constantin Meunier, sera élevé, après la mort du sculpteur, à Laeken.
Aimé-Jules Dalou est un immense sculpteur et un très grand modeleur. Il aura fallu attendre 2013 pour que le Petit Palais lui consacre une exposition d’envergure, le révélant ainsi au public. Malgré cela, c’est un artiste qui reste méconnu. Cet artiste était pourtant célébré en son temps. À sa mort, toute la presse s’en fit l’écho : « un des maîtres de la sculpture », « c’est une grande figure d’artiste qui s’en va » ; « il est en quelque sorte un peu plus qu’un autre le sculpteur de la troisième République. ». Son Œuvre est protéiforme et marquée par plusieurs styles. Ses scènes mythologiques et ses baigneuses, destinées à une clientèle privée, se rattachent à l’esprit du XVIIIe siècle. Ses scènes intimistes, petits sujets représentant la femme dans son quotidien, présentent un traitement plastique hérité du XVIIIe siècle, transposé dans des scènes de vie contemporaine. Dalou sculpte également de nombreux portraits, dans une veine réaliste et dans un souci de vérité. Enfin, Dalou est le sculpteur de la République. Profondément républicain, il a réalisé de nombreux monuments qui marquent durablement l’espace public et honorent sa mémoire.