Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887),
l’énergie et l’esprit1 d’un sculpteur du Second Empire

L’incomparable talent de Carrier-Belleuse dont Charles Baudelaire admire : « l’énergie et l’esprit » dès le Salon de 1859, n’a cessé de susciter l’admiration des collectionneurs. À la tête d’un atelier de renom, il a mené la terre cuite d’édition à son apogée. Chaque exemplaire, obtenu par la technique de l’estampage, est retravaillé à frais ; les coutures laissées par les moules sont lissées et les dernières imperfections de la surface effacées à l’éponge ou au doigt. Un même modèle a pu être décliné en une infinité de variations par l’application avant cuisson de divers éléments d’ornement, rendant chaque exemplaire unique. Experts et amateurs de Carrier-Belleuse sont immanquablement au rendez-vous dès lors qu’une une terre cuite de qualité – et en parfaite condition – est offerte à la vente. Ils recherchent avec une égale exigence les plus belles éditions en bronze de ses modèles, dont celles de Denière qui porta la technique de la fonte au sable à son plus haut niveau, rendant avec une admirable précision les moindres détails du modelé, magnifiés par de riches patines nuancées. Plus rares sur le marché, les marbres taillés sous le ciseau virtuose de Carrier-Belleuse et de ses patriciens sont tout autant recherchés par les collectionneurs. Probablement victime d’une demande croissante, certains modèles ont été édités en terre et en bronze de moindre qualité. Ces médiocres ersatz n’ont rien de l’élégance des meilleurs exemplaires de Carrier-Belleuse, animés d’une singulière vitalité, et ne peuvent tromper les connaisseurs.

Jean-François Bourriaud, Expert CNES, Verrerie Art-Nouveau et Sculpture XIXe – XXe

L’incomparable talent de Carrier-Belleuse dont Charles Baudelaire admire : « l’énergie et l’esprit » dès le Salon de 1859, n’a cessé de susciter l’admiration des collectionneurs. À la tête d’un atelier de renom, il a mené la terre cuite d’édition à son apogée. Chaque exemplaire, obtenu par la technique de l’estampage, est retravaillé à frais ; les coutures laissées par les moules sont lissées et les dernières imperfections de la surface effacées à l’éponge ou au doigt. Un même modèle a pu être décliné en une infinité de variations par l’application avant cuisson de divers éléments d’ornement, rendant chaque exemplaire unique. Experts et amateurs de Carrier-Belleuse sont immanquablement au rendez-vous dès lors qu’une une terre cuite de qualité – et en parfaite condition – est offerte à la vente. Ils recherchent avec une égale exigence les plus belles éditions en bronze de ses modèles, dont celles de Denière qui porta la technique de la fonte au sable à son plus haut niveau, rendant avec une admirable précision les moindres détails du modelé, magnifiés par de riches patines nuancées. Plus rares sur le marché, les marbres taillés sous le ciseau virtuose de Carrier-Belleuse et de ses patriciens sont tout autant recherchés par les collectionneurs. Probablement victime d’une demande croissante, certains modèles ont été édités en terre et en bronze de moindre qualité. Ces médiocres ersatz n’ont rien de l’élégance des meilleurs exemplaires de Carrier-Belleuse, animés d’une singulière vitalité, et ne peuvent tromper les connaisseurs.

Jean-François Bourriaud, Expert CNES, Verrerie Art-Nouveau et Sculpture XIXe – XXe

Entre tradition et innovation: Carrier-Belleuse, un homme de son temps

À l’instar de Benvenuto Cellini, le jeune Carrier-Belleuse s’est forgé à l’école exigeante de l’orfèvrerie. Il n’a que 13 ans lorsqu’il rejoint l’orfèvre Fauconnier et il gardera de ses débuts la passion du motif ornemental ainsi qu’un sens admirable du détail.
Admis à l’École des Beaux-Arts en 1840, par l’entremise de David d’Angers, il trouve cependant plus matière à étudier dans les chefs-d’œuvre de la sculpture française que dans l’enseignement académique qui y est prodigué. Ainsi, Carrier-Belleuse s’instruit à l’école des maîtres de la Seconde Renaissance et l’on retrouve dans ses figures féminines la grâce des canons longilignes et des tournures sophistiquées de la Nymphe de Fontainebleau par Cellini ou de la Diane d’Anet, autrefois attribuée à Jean Goujon (musée du Louvre, inv. MR 1706 et inv. MR 1581).

1. M. Simonin (dir.), Baudelaire, Écrits sur l’art, Paris 1992, (rééd. 1999), p. 440.

Michel-Ange

Archer de la Renaissance

Carrier-Belleuse revisite avec une étonnante liberté l’histoire de la sculpture française, bien au-delà du XVIe siècle, et sa manière semble se fondre avec la même aisance dans les différents styles. Si la référence aux sculpteurs des Lumières ‒ à Clodion2 et à Houdon en particulier ‒ a été observée à de multiples reprises, le poète et critique d’art Théophile Gautier retrouve également dans son œuvre la verve plus déclamatoire des derniers feux du règne de Louis XIV, notamment sous les ciseaux des Coustou et de Coysevox3.
Enfin, il est à se demander si l’esprit insatiable de Carrier-Belleuse ne se serait pas également penché sur le travail de certains peintres français du XVIIIe siècle. En effet, ne retrouvons-nous pas dans son œuvre un peu des jeunes ingénues nées du pinceau moelleux de Greuze ?
Carrier-Belleuse se nourrit également des artistes de son siècle. À partir des années 1870, le style vaporeux de Pierre-Paul Prud’hon aura une influence décisive quand, à son tour, il favorisera le dessin à la craie blanche sur papier de couleur.
Un recueil de cent planches photogravées d’après des dessins de Carrier-Belleuse, publié en 1884, donne un aperçu de l’ampleur de cette production4. Carrier-Belleuse voue également une admiration sans borne au style puissant et dramatique de François Rude. Selon les propos rapportés par Langlade, il avait pour habitude d’emmener ses fils à l’Arc de Triomphe et, face à la Marseillaise, de leur demander : « Découvrez-vous devant l’œuvre la plus émouvante et la plus grandiose de la sculpture française. »5

L’enlèvement d’Hippodamie

2. « Sa technique à la fois hardie et délicate, le sentiment exquis qui se dégage de ses groupes, l’ont parfois fait comparer à Clodion. », Bouchery de Granval cité par E. Langlade, op. cit., p. 20)

3. Au sujet du marbre de Hébé endormie : « Ici M. Carrier-Belleuse, dont la manière habituelle se rapproche du style de Coysevox et des Coustou, a cherché, comme les convenances du sujet le demandaient, le pur contour antique et sa grâce plus châtiée en estdevenue plus séduisante. » (cf. Th. Gautier, Salon de 1869, Paris, 1869, version non publiée de l’article écrit pour l’Illustration, consultable en ligne).

4. Application de la Figure humaine à la décoration et à l’ornementation industrielles, Paris, Goupil et Cie, 1884.

5. E. Langlade, Artistes de mon temps, vol. 2, Paris, 1929-1938, p. 20.

Héritier de ce riche patrimoine artistique, Carrier-Belleuse, résolument ancré dans son époque, est à l’affût des innovations technologiques applicables aux domaines artistiques ; il perçoit leur incidence sur le marché de l’art et comprend que des œuvres autrefois réservées à une élite deviendraient alors accessibles à un plus large public. En particulier, il tire le meilleur parti de la galvanoplastie, procédé qui permet d’effectuer à moindre coût des fontes plus légères. Les deux candélabres monumentaux flanquant l’escalier d’honneur du nouvel Opéra de Charles Garnier seront réalisés, en collaboration avec l’orfèvre Christofle, grâce à cette technique éléctro-chimique révolutionnaire. Ils constituent certainement l’aboutissement ultime de l’union des arts, de la science et de l’industrie dans l’œuvre de Carrier-Belleuse. En 1873, l’installation de ces candélabres aux proportions spectaculaires constitua un véritable évènement dans la capitale.

La production statuaire de Carrier-Belleuse s’inscrit dans un ensemble cohérent, régi par une vision globale de la création, abolissant les frontières entre Beaux-Arts et arts appliqués. Ses principes, tant esthétiques qu’idéologiques, sont parfaitement en phase avec le fondement même de la jeune Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie : fusionner « le beau dans l’utile » en employant toutes les ressources des nouvelles technologies6. Promoteur infatigable des arts décoratifs, Carrier-Belleuse s’y intéresse tout au long de sa carrière, comme en témoigne la magnifique exposition monographique de 2014, orchestrée par June Hargrove et Gilles Grandjean au palais de Compiègne. Dès 1850, il rejoint la manufacture anglaise de porcelaine Minton et, en 1875, il prend la direction des travaux d’art de la manufacture de Sèvres, fonction qu’il occupera jusqu’à la fin de sa vie, devenant ainsi le véritable maître d’œuvre des arts décoratifs.

6. cf. Le Beaux dans l’Utile. Histoire sommaire de l’Union centrale des beauxarts appliqués à l’industrie :suivie des rapports du jury de l’Exposition de 1865, Paris, 1866. Fondée en 1864 par deux proches de Carrier-Belleuse, Klagmann et Davioud, l’Union centrale a pour vocation de promouvoir les arts décoratifs et d’œuvrer à leur reconsidération par l’élite académique des Beaux-Arts (cf. J. Hargrove, G. Grandjean, op. cit., pp. 60-61).

L’amazone captive

La femme au chat

L’Ondine

Carrier-Belleuse sculpteur

C’est presque une machine à sculpter que M. Carrier-Belleuse. Chaque jour sortent de son atelier des bustes, des ornements, des statues, des statuettes, des candélabres, des cariatides ; bronze, marbre, plâtre, albâtre, il taille tout, il façonne tout, il creuse tout ; mais que cette machine a d’esprit, d’imagination, de verve ! 7

Cupidon et Psyché

L’œuvre sculpté de Carrier-Belleuse se distingue par les thèmes choisis, essentiellement inspirés de la mythologie anacréontique, propices à exalter la beauté féminine et son élégante sensualité. Il excelle également dans l’art du portrait, dans lequel il développe un style personnel et hors du temps : un syncrétisme réussi des maîtres du XVIIIe siècle ‒ Houdon en premier lieu ‒, de la quête d’un certain idéal de beauté hérité de la Renaissance ‒ plus particulièrement dans ses portraits de fantaisie ‒ et d’une volonté réaliste en phase avec les recherches de ses contemporains. Si le jeune Carrier-Belleuse n’a pas adhéré à l’enseignement académique, le sculpteur sait que du prestige de ses commandes officielles, de la large diffusion de ses œuvres et de sa présence remarquée aux expositions majeures, dépend son succès. De fait, de 1857 à sa mort il ne manquera qu’un seul Salon (1876), exposant statuettes, bustes et groupes en marbre ‒ dont la Bacchante du Salon de 1863, acquise par Napoléon III, et la Hébé endormie, commande de l’État exposée au Salon de 1869 puis à nouveau en 1873, à l’Exposition universelle de Vienne (musée d’Orsay, inv. RF 143 et inv. RF 163)

7. cf. E. Lockroy, « Le Monde des Arts », dans L’Artiste, vol. 77, 1865, p. 40

Habile communiquant, pour asseoir sa notoriété et assurer sa promotion, Carrier-Belleuse tire le meilleur parti des personnalités influentes dont il expose les bustes aux Salons ‒ qu’ils soient artistes (Eugène Delacroix, Honoré Daumier), politiciens (Napoléon III, Adolphe Thiers), intellectuels (Ernest Renan, Théophile Gautier) ou reines du demi-monde (Marguerite Bellanger, la Castiglione). Le sculpteur devient ainsi une figure incontournable de la scène artistique française demandé sur les plus éminents chantiers parisiens, tels que l’opéra Garnier précédemment cité, le palais des Tuileries et le Louvre. Il est également choisi par l’architecte Pierre Manguin pour participer au décor d’une tapageuse somptuosité de l’hôtel particulier que la Païva fait construire entre 1856 et 1865 sur les Champs-Élysées. Il y collaborera avec ‒ entre autres ‒ Ferdinand Barbedienne, Jules Dalou, Louis-Ernest Barrias et le peintre Paul Baudry. Il est enfin l’auteur de plusieurs monuments publics, dont celui en l’honneur de son ami Alexandre Dumas (Villers-Cotterêts, 1885 ; fondu en 1942, puis remplacé par un exemplaire moderne). Exception faite de ses débuts en Angleterre et de son séjour bruxellois où il délocalise son atelier au lendemain de la défaite de 1870, la carrière de Carrier-Belleuse est intimement liée à Paris ou, plus exactement, au Tout-Paris. Elle suit les évolutions politiques et l’alternance des milieux d’influence qui se succèdent dans la capitale. L’immense notoriété dont jouit le sculpteur, primé à de multiples reprises, atteint son apogée en 1885, lorsqu’il est promu officier de la Légion d’Honneur.

Flore

Travailleur infatigable, Carrier-Belleuse incarne ‒ avec Jean-Baptiste Carpeaux ‒ la sculpture du Second Empire. Statuettes, portraits des personnalités de son temps, bustes de fantaisie, groupes allégoriques monumentaux, son œuvre sculpté étonne encore tant il est fécond et protéiforme. Le marbre, l’ivoire, la céramique émaillée, le bronze aux multiples patines ont été les vecteurs de son talent mais son habileté déconcertante prend certainement toute sa mesure dans l’art du modelage.

Carrier-Belleuse parvient à tirer de la terre son entier potentiel qu’il met au service de la figure humaine et, plus particulièrement, de la représentation féminine pour laquelle le sculpteur nourrit une véritable dévotion. Langlade décrit avec justesse l’aisance sans pareil avec laquelle il manie la terre comme un prolongement de lui-même, dans une sorte de routine journalière dont on ne sait plus si elle est d’instinct ou acquise : « Carrier-Belleuse travaillait avec fougue, procédant directement dans la pâte et regardant les essais comme du temps perdu, ce qui prouve combien il était maître de lui, et comme il avait le métier dans la main. » 8.

8. E. Langlade, op. cit., p. 20

Jeune femme au diadème, des marguerites et anémones dans les cheveux

Jeune femme au papillon

Le sommeil

L’atelier de Carrier-Belleuse :
La terre où poussent les grands arbres

Mais que de merveilles dans les ateliers !… quelle vie ! quelle animation ! le maître a dessiné le modèle, pétri la glaise ou divisé le marbre. Cinquante praticiens, artistes de tous genres, travaillent sous sa direction. L’un dégrossit la pierre, l’autre passe les plâtres à la cire, un troisième recouvre de linges mouillés les groupes achevés…9

De retour d’Angleterre, Carrier-Belleuse ouvre son premier atelier parisien qui deviendra en une dizaine d’années seulement une véritable entreprise. Au plus fort de son activité, ses effectifs culmineront à une cinquantaine d’employés : modeleurs, mouleurs, fondeurs, ciseleurs, praticiens et autres artisans s’affairent au 15, rue de la Tour-d’Auvergne. Vers 1870, le peintre Louis-Robert Carrier-Belleuse, fils d’Albert-Ernest, dépeint avec minutie l’ambiance studieuse qui règne dans l’atelier de son père (Dahesh Museum of Art, New York). Le sculpteur, entouré d’innombrables moulages de ses réalisations et d’un exemplaire de son Enlèvement d’Hippodamie, est surpris en pleine discussion avec un visiteur, probablement un client ; un jeune apprenti assis à ses côtés l’écoute attentivement.

Le maître utilise constamment le dessin, que ce soit pour élaborer un modèle ou pour le décrire à ses collaborateurs. Le modelage ‒ essentiellement en terre mais aussi en cire ‒ lui permet ensuite de transcrire en trois dimensions l’idée première jetée sur le papier. Avec une éblouissante intelligence plastique et une incroyable économie de gestes, il parvient à tirer de la matière l’essence même de son idée. Dès les années 1860, Carrier-Belleuse organise au sein de son atelier ses propres tirages en terre cuite. Il adapte l’usage des moules à pièces ‒ employés dès le XVIIIe siècle dans la production céramique, notamment à Sèvres ‒, permettant la réplique de ses modèles par estampage. Comme chez Clodion et Houdon au siècle précédent, les sujets sont ensuite retouchés à frais ; les coutures sont effacées, la surface animée d’un effet tourbillonnant à l’éponge ou au doigt et les détails repris pour retrouver la nervosité du modèle initial. Des éléments ornementaux, fleurs, bijoux, voiles ou chapeaux, sont modelés séparément et ajoutés avant cuisson. Ces variations infinies sur un même modèle rendent chaque exemplaire unique.

9. Note de Georges Davray – l’un des pseudonymes d’Alfred Delilia – jointe à son compte-rendu d’une vente à l’hôtel Drouot, Paris, le 23 décembre 1874 (Bibliothèque historique de la Ville de Paris ; cf. J. Hargrove, G. Grandjean, op. cit., p. 82)

Jeune femme au bonnet et au corsage fleuris

Le Printemps

Auguste Rodin

Suzon ou La petite Manon

La primauté de l’invention sur l’exécution, principe fondateur de la pratique artistique de Carrier-Belleuse, sera reprise à son compte par Rodin dans l’atelier qu’il dirigera à son tour. Dès leurs premières collaborations, la personnalité imposante du jeune sculpteur et son esprit novateur le démarquent naturellement des autres assistants de Carrier-Belleuse. Pendant près de vingt ans, entre leur rencontre en 1863 et leurs collaborations à la Manufacture de Sèvres à partir de 1879, l’activité intermittente de Rodin au sein de l’atelier fut émaillée de séparations et de retrouvailles ‒ les deux hommes oscillant entre estime partagée, rivalité croissante et orgueils blessés. En 1871, alors que Paris sort exsangue des conflits franco-prussiens, leur collaboration se prolonge à Bruxelles où Carrier-Belleuse, en quête de nouvelles commandes, vient d’ouvrir un atelier. Entre 1864 et 1872, Rodin modèle un buste en terre de Carrier-Belleuse ‒ témoignage ultime du lien durable qui unit les deux hommes ‒ dont un tirage en bronze figure au musée Rodin (fonte à cire perdue par Montagutelli, 1913, inv. PPS1711). Seule exception au caractère strictement monographique de cette exposition, un bronze du buste de Suzon, modèle créé par Rodin avant 1875, illustre l’influence considérable de Carrier-Belleuse sur ses œuvres de jeunesse.

Rodin et son aîné sont issus de l’École spéciale de dessin et de mathématiques, future école des Arts Décoratifs. Plutôt que de se soumettre aux préceptes d’un enseignement trop contraignant, ils ont tous deux privilégié un apprentissage par la pratique. Il est impossible de déterminer clairement l’apport de chacun dans l’élaboration des modèles, même si la personnalité forte de Rodin transparait dans certaines de leurs collaborations.

Carrier-Belleuse semble avoir été le concepteur des projets qu’ils ont menés ensemble tout en accordant à Rodin une liberté croissante d’intervention. Sa réponse à une note reçue à la Manufacture de Sèvres plaide en ce sens : « Rodin est un artiste de beaucoup de mérite et d’un talent fort souple ; en conséquence, on doit trouver les moyens de le mettre à même d’appliquer son talent à des choses nouvelles. » 10. Sa reconnaissance sans équivoque de l’esprit novateur de Rodin et sa volonté de n’entraver d’aucune sorte la marche de son génie font honneur à la sagacité et à la générosité de Carrier-Belleuse, liberté ultime d’un artiste qui n’a plus rien à prouver.

10. E. Langlade, op. cit., p. 20

L’Automne

Bacchante

Jeune femme aux marguerites, la chemise ouverte

En conclusion, l’atelier de Carrier-Belleuse connut un rayonnement exceptionnel. Dans cette pépinière de talents, il forma une génération de jeunes sculpteurs aux personnalités affirmées et aux styles aussi différents que ceux d’Alexandre Falguière (1831-1900), Jules Dalou (1838-1902) et Auguste Rodin (1840-1917), pour ne citer qu’eux. À l’instar de Gustave Moreau en peinture, il semble juste de dire que la relève de la sculpture française trouva dans l’atelier de Carrier-Belleuse l’émulation, l’énergie et l’élan nécessaires pour tracer sa propre voie à l’orée du XXe siècle. En 1904, quand Brancusi ‒ alors jeune paysan roumain à peine arrivé à Paris ‒ quitte au bout de trois mois seulement l’atelier de « Monsieur Rodin », avec un péremptoire « rien ne pousse à l’ombre des grands arbres », sans doute ignorait-il à l’ombre de quel chêne majestueux ce dernier avait atteint les cimes de son art.